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Ghost World voir ce complet film avec sous-titres 2160p

Eté 98. Enid et Rebecca, deux jeunes filles, en terminent avec le lycée et se complaisent dans leurs critiques désespérées d'une société dans laquelle elles doivent désormais trouver leur place. Voila les vacances estivales et Enid découvre avec stupeur qu'elle doit suivre un cours de rattrapage artistique alors qu'elle excelle dans le dessin. Dans cette langueur poisseuse et étouffante, la jeune étudiante hésite et s'ennuie ferme. Une petite annonce lui offre l'occasion d'une blague aux dépends d'un homme avec lequel elle va nouer une relation.

Le nom de Terry Zwigoff, est respecté dans le milieu cinématographique pour le joli succès critique (Grand Prix du Jury au festival de Sundance en 1995) et public de son documentaire Crumbs. Cette approche singulière mettait en scène un fer de lance du comic-book underground américain, Crumb, mais tournait rapidement à la chronique familiale en sublimant son sujet famélique. Le premier soubresaut d'une volonté affichée de fiction. Pour étancher cette soif, l'auteur a l'idée de s'associer à un autre grand de la BD, Daniel Clowes, dont le recueil Ghost World. paru en 1998 a convaincu et enchanté de nombreux lecteurs. Il s'agissait d'ailleurs plus d'une sorte de roman dessiné avec personnages profonds et complexes, privilégiant le rythme et l'ambiance au comique immédiat des peanuts.

Double cathodique. Nous pénétrons dès la première image dans l'envers du décor. De l'autre côté de la lucarne. En effet, la séquence d'ouverture va opposer image télévisée -la comédie musicale loufoque Gumnaan - et spectateur. Nous entrons dans le film en suivant (ou tout bonnement par) des câbles électriques ou d'antenne, insidieusement. Devant nos yeux, un alignement de blocs résidentiels, où les ombres, les clignotements bleutés, fantomatiques et cathodiques sont les uniques manifestations de vie humaine. Dans un lent et impitoyable travelling nous découvrons les intérieurs, les salons, les brèves vignettes qui accueillent des êtres prisonniers physiquement et aliénés mentalement. Les saynètes se succèdent privilégiant les stéréotypes des coach-potatoes. la télévision étant l'épicentre du foyer (citons pour s'en persuader la scène où Enid et son père partagent un petit déjeuner, la caméra fixe l'écran allumé comme une troisième personne - la mère. - comme une instance supérieure qui détruit ou régit l'unité familiale). Enfin, une touche de folie. Sur la musique qui engourdit nos oreilles depuis quelques minutes, une jeune fille danse et se déchaîne. Elle regarde l'écran, puis l'écran la regarde, enfin quelque chose de neuf, le zapping cesse, c'est elle que l'on va suivre et découvrir. Il s'agit d'Enid (Thora Birch excellente dans la lignée de sa prestation dans American Beauty ), une jeune fille extravertie et fantasque, qui cache ses rondeurs sous des vêtements trop amples, et l'absence maternelle sous un look punk. Comme elle est terrifiée à l'idée qu'on ne l'apprécie pas elle préfère haïr les autres. Son amie, ou plutôt son alliée de circonstances, son symbiote est Rebecca, une fille charmante et sexy, rompue au moule, l'exacte opposée de l'héroïne. Son seul rêve d'adolescente et de pouvoir louer un appartement grâce à son travail, quel qu'il soit. Un lieu qu'elle pourra remplir d'une multitude d'objets de consommation, dont des rideaux а la limite du burlesque.

Trouver sa place. En l'espace de deux scènes (la remise des diplômes et le bal de fin d'année), le lycée est expédié. "C'est tellement nul que c'est bien" dira Rebecca, "c'est tellement nul que c'est vraiment nul" réplique Enid. Car le propos n'est certainement pas l'adolescence en établissement scolaire. Non il va tout au contraire en s'affinant vers la difficulté d'en sortir, le passage de la position d'observateur

sarcastique et pragmatique, qui jette un regard amusé aux vaines agitations du monde, à celui d'acteur maladroit, d'abeille butineuse. Cette métamorphose est mal vécue par Enid, qui ne trouve pas sa place dans le nouveau schéma. Ses essais de petits boulots se soldent par des échecs cuisants (on aura du mal à commander du pop-corn après cette scène d'anthologie) et sa verve créatrice se cantonne à croquer les personnes qu'elle rencontre sous forme de caricature dans le cahier qui ne la quitte jamais. Son professeur d'arts, jouée aux confins de l'absurde par la géniale Illeana Douglas (Happy Texas. Action …) lui fera remarquer avec un aplomb désarmant. Sous sa plume, les paumés deviennent des princes charmants et les couples tranquilles se transforment en adorateurs de Satan. C'est que notre Mafalda ou notre Daria (son look et son jeu de paire de lunettes en fond un véritable personnage de cartoon) a bien du mal à communiquer, préférant se réfugier dans un déluge de sons et de cynisme cruel. Josh lui plaît, elle en fera son souffre-douleur. Elle repousse l'amitié et juge au premier regard. Le seul homme avec qui elle peut échanger est simplement l'opposé de ce qu'elle déteste. Un loser -Steve Buscemi très sobre- refusant de vivre dans son époque, usant d'un téléphone des années 50 et coincé dans sa collection de 78 tours de ragtime et de blues (un clin d'oeil au dessinateur Crumb). C'est sa manière de se protéger, de contenir l'émotion qui la submerge parfois au coin de la rue pour une broutille, d'endiguer le flot de larmes qui finira par rompre les derniers contreforts de sa mélancolie. Ce torrent lacrymal inonde littéralement le long métrage, un point de non retour, d'asphyxie. La langueur et la gravité qui n'ont cessé d'envahir le visage d'Enid sont à leur paroxysme, ses illusions s'envolent, elles ne peut se raccrocher à rien et les rares options qui lui reste seraient la pire des trahisons. Par faute de choix clairs, elle perd les opportunités et commence à disparaître

Dans cette bourgade sans âge, parfaite retranscription de l'atmosphère désuète, sclérosé et neutre de la BD originale, la vision du monde de la jeune fille a tout de l'utopie. Une conception du passé accessible par strates, par une sensation clinquante (le diner symbole du kitsch). Le temps ne semble curieusement pas synonyme de changement mais bien d'immuabilité. Il s'est arrêté et on ne fait que vivre la même seconde depuis 50 ans. Le seul indice sur le temps qui passe, le changement de look de l'héroïne, cheveux et lunettes. Le jean est toujours sur le trottoir, le vieux bonhomme attend toujours son bus-qui-n'existe-plus. Comme lui dira Enid, il est la seule personne sur laquelle elle puisse compter, la seule qui sera toujours là. Mais il lui rétorquera qu'elle ne sait pas de quoi elle parle. Oui, elles discourent ces jeunes filles et principalement sur le sexe mais quand passent-elles à l'acte. Quand cessent-elles de temporiser. La pire des découvertes pour elles c'est que l'avenir ne peut être la reproduction identique d'un modèle, pur, où amis et personnes font toujours partie du paysage. Enid le ressent très tôt dans le film, lors du bal, elle se rend compte qu'elle ne verra plus ce garçon grassouillet, sûrement la risée de ses condisciples, et qui mange seul un dessert. Voila un portrait d'une Amérique qui disparaît, des amis qui nous quittent, de la fin d'une âge pas si ingrat que l'on a tendance à le dire. Nous entrons dans un nouveau monde, où les élans culturels sont réduits à néant et/ou sont exprimés de manière pédante et excessive (qu'importe une question, la réponse est disponible sur l'ordinateur). Tout doit être catalogué, vite et bien, la juive, l'aryenne, ce qui n'a pas d'utilité passe au rebus. Et si vous désirez voir 8 ½ de Fellini, vous vous retrouverez soda aux lèvres à baver devant 9 Semaines ½. Le refus d'adhérer à ce concept est considéré comme un manque d'ambition. Il vaut sans doute mieux omettre les racines xénophobes d'une chaîne de restaurant et établir un foyer dans une supérette. La gestion de l'enfant est de la même veine, entre absence, distance et discrétion, la chape paternelle devient intolérable.

En attendant le bus. La plus cruelle des déconvenues n'est pas la découverte d'un système d'exploitation outrancier, où l'amour finit par avoir des exutoires impurs. Mais bien l'obligation de s'y fondre, de mettre de côté les idéaux anarchistes qui brûlent encore dans les coeurs. Pour pourrir le système, rien de mieux que de faire une école de commerce. Comment peut-on m'aimer, que doit-on changer, endurer. Un constat clair qui ne

possède qu'une conclusion, le moule ou l'exclusion mutuelle (Je hais 99% des gens nous dit Seymour, l'indifférence est sûrement réciproque). Une intense mélancolie, un désoeuvrement finit par en découler, contaminant progressivement la mise en scène. On pourrait la qualifier de simple et épurée mais elle devient par trop neutre, impuissante voir désaffectée. Difficile de suivre la dernière demi-heure tant le rythme et la musique semblent s'entêter dans une voie, dans des circonvolutions dont on finit par se détacher. Une chute fixe et vertigineuse vers le néant. On ne peut pas vivre éternellement entre deux mondes, deux conceptions, dont on ne sait laquelle est la plus empreinte de véracité. Difficile d'échapper à la tutelle d'une société de consommation. Grandir c'est peut-être aussi cela, s'émanciper de toutes ses certitudes (expériences et médias) pour faire table rase. Le long métrage pêche dans le passage du papier à l'image. Par la difficulté de transmettre la même émotion, de choisir un registre. A l'instar de son héroïne, le réalisateur hésite entre humour féroce, pamphlet et chronique psychanalytique. Là où Todd Solondz nous avait gratifié d'une oeuvre cynique, intelligente et acerbe avec Happiness (pour l'anecdote signalons que Daniel Clowes avait conçu l'affiche de ce film), Terry Zwigoff échoue à créer une dynamique dans son récit, à produire une véritable émotion cinématographique. Sa mise en image est parfois trop froide, impersonnelle, prisonnière des crayonnés originaux. Un défaut qui permet de représenter les angoisses existentielles de l'héroïne, de fusionner avec la personnalité de son principal protagoniste, de se superposer à son regard est en y réfléchissant non dénué d'intérêt mais insuffisamment maîtrisé. Il reste la splendide métaphore finale. Tout au long de l'histoire revient en fil rouge ce vieil homme assis sur un banc recouvert de graffitis et attendant un car sur une ligne fermée depuis deux ans. Au plus profond de sa déprime Enid le voit monter dans un bus et quitter la ville. C'est le déclic. Alors que nous nous retrouvons devant une forêt de câbles électriques se dirigeant hors de la cité (le chemin inverse de notre découverte de ce monde), la jeune fille s'installe sur le banc avec sa valise. Un bus vide de passagers ne tarde pas et l'embarque vers l'inconnu. Il s'éloigne sur une route ascendante vers l'horizon, on ne sait ce qui se cache derrière la courbe de la chaussée. Lorsqu'elle s'engage dans ce voyage, Enid a l'air plus calme, sereine et mature. De cet abandon on pourra déduire aussi bien le suicide que le renoncement à un univers de pacotille (télévisuel). Seymour a lui choisi de rester mais il ne fait plus front, accompagné de sa mère le voila chez un psychiatre obséquieux et vénal. Pas de happy end pour un film attachant et juste dont le titre, excellent, stigmatise une société nausйeuse de profits et d'images, qui a biaisé l'intellect adolescent et contrarié l'entrée dans la vie. A force de vouloir être adulte trop tôt, on finit par ne jamais l'être et attendre indéfiniment le bus qui doit y conduire. Affronter sa solitude et faire face à des décisions qui n'induisent que nous, ne dépendent que de nous, voila le sujet de cette histoire nonchalante et lucide.